Togo

7 juillet 2024

Ce document fait partie d'un projet de recherche plus large sur les flux d'or africains. Pour plus d'informations sur les sources de données, la méthodologie ou les recommandations, veuillez vous référer au rapport Sur la piste de l'or africain (SWISSAID 2024).

Type de pays

Principales caractéristiques : très faible producteur d’or, important pays exportateur d’or, pays de transit pour l’or de contrebande provenant des pays voisins / de la région

Production d’or

  • extraction minière artisanale et à petite échelle :

    • déclarée : pas de données
    • non déclarée (estimée) : 165 kg en 2021
  • extraction minière industrielle ou à grande échelle : aucune

Exportations d’or

  • déclarées : aucune depuis 2019 ; entre 10 et 20 tonnes les années précédentes, principalement à destination de la Suisse, des Emirats arabes unis et du Liban
  • non déclarées (contrebande) : plus de 20,6 tonnes en 2022, entièrement à destination des EAU
  • réexportation d'or de contrebande : selon le calcul de SWISSAID, plus de 154 tonnes ont été acheminées clandestinement au Togo puis réexportées depuis ce pays entre 2012 et 2022.

Membre ITIE : oui, depuis 2010

Rapporte à UN Comtrade : oui, mais avec des incohérences entre les poids et les valeurs rapportés

Résumé

Le Togo joue principalement le rôle de plaque tournante de la contrebande d’or en provenance des pays voisins, notamment du Burkina Faso. Le pays produit lui-même très peu de métal jaune, mais il en a exporté des quantités considérables (10-20 tonnes par année) jusqu’à la fin des années 2010, en particulier à destination de la Suisse, des Emirats arabes unis (EAU) et du Liban. Officiellement, ce commerce s’est interrompu suite à la fermeture forcée de Wafex et Soltrans, les deux seules sociétés à disposer d’une autorisation pour l’exportation d’or depuis le Togo, mais les chiffres disponibles en juillet 2024 suggèrent qu’il a repris au début des années 2020, en particulier à destination des EAU.

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Les autorités togolaises n’ont rapporté aucune importation d’or au Togo entre 2012 et 2019, puis que de faibles volumes entre 2020 et 2022. De même, elles ont rapporté une production d’or quasi nulle sur le territoire du pays pendant cette période. En revanche, les chiffres sur les exportations qu’elles ont publiés montrent que des volumes d’or considérables ont quitté le pays chaque année jusqu’en 2018. Il est clair que ces volumes proviennent presque exclusivement de l’étranger. La section nationale togolaise de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE Togo) le reconnaît lorsqu’elle affirme que « la production générée par l’exploitation artisanale sur le territoire national reste insignifiante par rapport aux volumes exportés » et que « la différence significative entre les exportations et la production peut être expliquée par le fait que la grande majorité des volumes exportés proviennent des pays limitrophes et ne sont pas produits au Togo. » Prudente, l’organisation ajoute : « Cependant, aucune étude n’est disponible pour confirmer ce constat » (ITIE Togo 2021: 68). Ce que l’ITIE Togo ou l’Etat togolais ne disent pas, en revanche, mais qui a été suffisamment étayé par d’autres sources, c’est que cet or entre au Togo en contrebande.

Production d’or

Les quantités d’or produites au Togo sont faibles et issues exclusivement de l’exploitation artisanale et à petite échelle (EMAPE). Dans son Rapport final 2021, l’ITIE Togo écrit que « selon la DGMG [Direction générale des mines et de la géologie], l'exploitation de l'or et du diamant au Togo s’effectue sous forme artisanale sur plusieurs sites alluvionnaires et aucune exploitation industrielle n'est opérée pour le moment » (ITIE Togo 2023: 59). De même, la Banque mondiale rapportait en 2019 qu’aucun dépôt d’échelle industrielle n’avait été identifié au Togo, mais que de plus en plus de mineurs étaient impliqués dans les mines d’or artisanales et de petite-échelle du pays. Selon elle, les dépôts alluvionnaires représentaient une source de revenus pour une portion croissante de la population rurale (Banque mondiale 2019: 69).

Il n’existe pas de chiffres officiels sur la production d’or au Togo, au moins jusqu’en 2022, comme l’a confirmé à SWISSAID la Direction du développement et du contrôle minier (DDCM), une sous-direction de la DGMG. Entre 2013 et 2022, le secteur de l’or togolais n’avait donc aucune existence officielle. Le Ministère de l’environnement et des ressources forestières (MERF) du Togo l’a reconnu en 2018 (MERF 2018: 21, cf. aussi MME 2019: 5) et l’ITIE Togo l’a confirmé dans son Rapport final 2021 : « La majorité des exploitations du secteur artisanal fonctionne en dehors des structures économiques et juridiques officielles, ce qui rend la contribution des exploitations artisanales d’or et de diamants à l’économie nationale quasiment impossible à évaluer » (ITIE Togo 2023: 59, cf. aussi ITIE Togo 2023: 36).

Il existe plusieurs estimations de la production d’or issu de l’EMAPE au Togo. Une étude réalisée en 2021 dans le cadre du Plan d’action national (PAN) pour réduire ou éliminer le mercure dans l’EMAPE d’or au Togo estime la production de ce secteur à 165 kilogrammes par an (Ministère de l’environnement et des ressources forestières 2022: 9). Dans son Rapport final 2020, l’ITIE Togo cite une estimation de la production de l’EMAPE de 9,3 milliards XOF (FCFA) (ITIE Togo 2023: 36) en se basant sur un rapport officiel publié par l’Institut national de la statistique des études économiques et démographiques (INSEED) dans le cadre du Projet de développement et de gouvernance minière (PDGM) (INSEED 2019: 23). Ce chiffre correspond à quelques centaines de kilogrammes d’or. L’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) cite le chiffre de 6 kg pour l’année 2015 et pour l’ensemble du pays (ONUDI 2018: 40), en se basant sur des entretiens et sur un rapport publié en 2017 dans le cadre du PDGM. Dans son Rapport final 2018, l’ITIE Togo 2018 se réfère à ce même rapport du PDGM, mais en soulignant que « les données relatives à la production de l’or sont établies à partir des estimations » (ITIE Togo 2021: 68)1. Le chiffre de 6 kg devrait être abordé avec prudence. Il est particulièrement bas et les autorités togolaises ont été déjà été accusées de « minimiser l’existence et l’extraction d’or au Togo » (Togo-Online 2020). Par ailleurs, un projet de cartographie des sites et carrières illicites réalisé en 2019 pour le Ministère des mines et de l’énergie (MME) du Togo a permis de recenser 431 sites clandestins dont 40 concernaient l’or (MME 2019: 53). Un tel nombre de sites est susceptible de produire nettement plus que 6 kg d’or par an.

Selon la Direction du développement et du contrôle minier (DDCM), une société nommée Panafrican Gold Corporation Togo (PGCT) a obtenu un permis en 2023 pour une exploitation à petite échelle de l’or au Togo et a démarré ses activités cette année-là. Dans un échange avec SWISSAID, le chef de la DDCM a écrit que, dans ce cas au moins, « les quantités extraites sont bien suivies »2. PGCT appartient à un « promoteur togolais » qui s’est allié avec des « partenaires indiens ». Le pays de destination des expéditions d’or est Dubaï3.

Importations d’or

Si l’on se base sur les chiffres officiels, le Togo n’a pour ainsi dire pas importé d’or pendant la décennie 2013-2022. C’est ce qui ressort aussi bien des déclarations faites à UN Comtrade par l’Etat togolais que de celles faites par les autres Etats4.

Cependant, il existe un important trafic d’or à destination du Togo, qui n’apparaît tout simplement pas dans les chiffres officiels pour les années 2013-2022. L’or concerné provient du Burkina Faso, du Niger, du Ghana et vraisemblablement encore d’autres pays de la sous-région. Il transite par le Togo, car ce pays pratique ce que certains observateurs ont qualifié de « dumping fiscal » (cf. OCDE 2018: 18 et 29).

Les rares estimations de l’ampleur de la contrebande d’or à destination du Togo dont on dispose sont vraisemblablement trop basses. Dans un rapport publié en 2019, la Banque mondiale explique en effet que ce type de trafic transfrontalier est sous-estimé car largement informel (Banque mondiale 2019: viii).

Au milieu des années 2010, l’organisation non-gouvernementale Public Eye (anciennement Déclaration de Berne) s’est penchée sur le rôle du Togo dans la contrebande d’or en Afrique de l’Ouest et a observé l’existence d’une connexion avec le Burkina Faso, un important producteur d’or d’EMAPE. Au terme de son enquête, elle est arrivée à la conclusion qu’« au moins 7 tonnes par an de cet or artisanal ne sont jamais comptabilisées au Burkina Faso et sont acheminées clandestinement par voie terrestre vers Lomé, au Togo » (Public Eye 2015: 3, traduction par SWISSAID). Autrement dit, à l’époque, des volumes d’or tout à fait considérables passaient du Burkina Faso au Togo (cf. aussi ARM 2016: 13 et 28). Comme l’a reconnu un représentant du Bureau des mines et de la géologie du Burkina Faso (BUMIGEB) cité dans le rapport de Public Eye : « il n'y a pratiquement pas d'exportations légales d'or du Burkina vers le Togo » (Public Eye 2015: 17, traduction par SWISSAID). Il s’agissait donc entièrement d’or de contrebande.

Ce trafic d’or entre le Burkina Faso et le Togo restait d’actualité en 2018. Une étude réalisée pour le compte de l’OCDE estimait d’ailleurs à l’époque qu’il concernait un volume d’or de 12 à 20 tonnes par année (OCDE 2018: 18 et 29). Plusieurs comptes rendus parus plus récemment en font état également, ce qui suggère qu’il continue à l’heure actuelle. Un article du Financial Times, par exemple, affirme que « l'or burkinabé est principalement passé en contrebande par la frontière poreuse du pays avec le Togo et transporté par avion jusqu'à Dubaï pour y être raffiné ». L’article précise que « les négociants de la région ont confirmé qu'une grande partie de l'or extrait de manière artisanale au Sahel est introduite en contrebande au Togo, où il est taxé au taux plus bas du pays, avant d'être expédié à Dubaï, la plupart du temps dans les bagages à main des vols commerciaux » (Financial Times 2021, traduction par SWISSAID, cf. aussi AP News 2022, qui cite l’Institute for Security Studies).

Des flux illicites d’or ont également été observés entre le Niger et le Togo. Selon une étude réalisée en 2018 pour le compte de l’ONUDI, de l’or artisanal extrait au Niger est acheminé clandestinement vers le Togo et vendu dans ce pays (GI-TOC & ONUDI 2018: 27). Une autre étude réalisée la même année pour le compte de l’OCDE estime les volumes d’or concernés à 2 à 3 tonnes par année et mentionne la région du Liptako comme l’origine vraisemblable de cet or (OCDE 2018: 18 et 29).

Enfin, de l’or est également acheminé clandestinement au Togo depuis un troisième pays voisin, le Ghana. En septembre 2020, des officiers du Ministère de la sécurité nationale du Ghana ont arrêté quatre contrebandiers en train de passer 15 kg d’or au niveau de la ville frontière d’Aflao (The Herald Ghana, repris sur GhanaWeb 2020). Le compte rendu affirme clairement qu’il ne s’agissait pas d’un acte unique : « Ils ont envoyé de grandes quantités de lingots d'or depuis le Ghana [...], dans le cadre de ce qui semble être un commerce illégal de longue date » (traduction de SWISSAID). Cela donne à penser que les 15 kg saisis ne représentent que la partie visible d’un trafic impliquant des volumes bien plus importants.

Les mécanismes qui sous-tendent le trafic d’or à destination du Togo relèvent avant tout du domaine fiscal (Public Eye 2015: 7 et 17). Comme l’explique l’auteur de l’étude réalisée en 2018 pour le compte de l’OCDE, à Lomé, la taxe sur les exportations d’or n’est que de 30-45'000 XOF (FCFA)/kg, tandis que dans les pays voisins, elle atteint en moyenne 450'000 XOF/kg. Cela s’explique par le fait qu’au Togo, cette taxe est calculée sur la base d’une estimation artificielle de la valeur de l’or exporté, à savoir seulement 1'700 USD/kg, ce qui est nettement inférieur au prix du marché (OCDE 2018: 18 et 29)5. Ce qui fait l’attrait du Togo en tant que plaque tournante, c’est donc la taxe à l’exportation, qui est bien plus basse dans ce pays que dans les pays voisins.

A noter aussi que les trafiquants ne payent aucune taxe lorsqu’ils acheminent de l’or clandestinement, par voie terrestre, à travers les frontières des pays producteurs. Cela leur donne un avantage concurrentiel et renforce leur position sur le marché. Comme l’explique l’auteur de l’étude OCDE : « Les comptoirs qui exportent en fraude ne s’acquittant pas du payement des taxes peuvent ainsi acheter l’or à prix gonflé par rapport au reste du marché, ce qui leur assure d’être constamment approvisionnés » (OCDE 2018: 29).

En 2020, l’Office togolais des recettes (OTR) a annoncé qu’il allait appliquer un « système automatisé de marquage » afin de mieux contrôler l’importation de marchandises sur le territoire du Togo et de « lutter contre la contrebande et le commerce illicite » (Agence Ecofin 2020). SWISSAID ne sait pas si ce système s’applique à l’or, s’il a déjà été mis en œuvre et s’il a permis de réduire la contrebande d’or à destination du Togo.

Selon le calcul de SWISSAID, plus de 154 tonnes ont été acheminées clandestinement au Togo puis réexportées depuis ce pays entre 2012 et 2022.

Exportations d’or

Comme le note la Banque mondiale dans un rapport sur le Togo, les statistiques togolaises sur le commerce extérieur posent de nombreux problèmes. En ce qui concerne l’or, en particulier, les chiffres sur les exportations incluent non seulement l’or produit au Togo, mais également celui qui est produit dans les pays voisins et importé au Togo en contrebande. Il est donc impossible de faire une claire distinction entre l’un et l’autre (Banque mondiale 2019: viii). La Banque mondiale note toutefois que « la grande majorité [de l'or dans les statistiques du Togo] provient des voisins producteurs d'or que sont le Ghana, le Burkina Faso et le Mali » (Banque mondiale 2019: 69, traduction de SWISSAID).

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De 2012 à 2017, les exportations d’or du Togo ont oscillé entre 15,6 et 20,6 tonnes, selon les données de UN Comtrade. En 2018, elles ont chuté à 10,1 tonnes. Puis, en 2019, l’Etat togolais a déclaré qu’aucune exportation d’or n’avait eu lieu depuis le territoire du Togo – tandis que, cette année-là, les autres Etats ont tout de même déclaré avoir importé une (1) tonne d’or en provenance du Togo. Les chiffres rapportés par l’Etat togolais à UN Comtrade6 ne correspondent pas tout à fait à ceux rapportés par les autres Etats. Cependant, dans l’ensemble, la différence n’est pas énorme, surtout lorsqu’on la compare aux quantités totales concernées.

L’interruption des exportations officielles en 2019 et la forte baisse qui l’a précédée en 2018 sont vraisemblablement liées à la cessation d’activité des deux seules sociétés jusque-là autorisées à exporter de l’or (et des diamants) depuis le Togo, à savoir Wafex (Groupe Ammar) et Soltrans (ITIE Togo 2021: 14 et 66, L’Evénement Niger 2021). Une certaine confusion règne au sujet des raisons précises qui ont mené à la disparition de ces sociétés du Togo, mais il semble que la fermeture de leurs bureaux découle d’une décision de l’administration togolaise. Dans une enquête sur le trafic d’or dans la région, les journalistes Marie-Louise Bidias (Notre Epoque, Bénin) et Pierre-Claver Kuvo (De Cive / Le Citoyen, Togo) affirment que, « soupçonnées d’activités illégales par les autorités togolaises, Wafex et Soltrans n’ont jamais fait l’objet de poursuites judiciaires. Mais elles ont tout de même fermé leurs portes en 2018. Car suite à un rapport d’enquête de la direction générale des mines et du commissariat des impôts du 25 septembre 2019, les deux entreprises ont été retirées de la liste des sociétés reconnues par l’organisation internationale Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) qui supervise le secteur extractif » (L'Evénement Niger 2021).

Cependant, rien dans le Rapport final 2019 de l’ITIE Togo ne confirme cette version. L’organisation ne fait qu’observer que « ces deux sociétés ont été mis en veilleuse leurs activités [sic] respectivement en juillet 2018 et février 2019 pour des raisons administratives. Selon les rapports d’enquête effectués par la DGMG sur terrain, nous comprenons que ces deux sociétés ne sont plus opérationnelles et ont quitté leurs locaux d’exercice » (ITIE Togo 2021: 66).

SWISSAID a obtenu confirmation du lien causal entre la chute des exportations et le non-renouvellement des autorisations de ces sociétés de la part de Nestor Kossi Adjehoun, chef de la Direction du développement et du contrôle miniers (DDCM) de la DGMG7. Celui-ci a également expliqué que « ce sont les autorités togolaises qui ont pris la décision de ne plus renouveler les autorisations de ces sociétés », mais qu’il n’avait pas connaissance d’un quelconque soupçon d’activités illégales8.

Qu’est-ce qui, à la fin des années 2010, a poussé les autorités togolaises à abandonner leur position de laissez-faire et à prendre soudainement des mesures pour interrompre l’exportation massive d’or étranger depuis le Togo ? Dans une enquête sur les liens entre l’extraction d’or et l’activité de groupes armés dans le Sahel, Reuters avance qu’elles se sont retrouvées sous pression : « Début 2019, des responsables internationaux ont fait pression sur le Togo pour qu'il agisse afin d'empêcher la contrebande d'or, craignant que ce commerce ne soit à l'origine d'un conflit dans la région [...] ». Citant Kossi Adjehoun, Reuters explique que « le commerce de l'or a été suspendu au Togo depuis le début de l'année afin de rendre le commerce plus transparent » (Reuters 2019, traduction de SWISSAID).

Déjà en 2021, les journalistes Bidias et Kuvo annonçaient que l’interruption des exportations d’or depuis le Togo ne serait vraisemblablement que temporaire. Ils écrivaient que, selon leur source au sein de la DGMG, l’exportation d’or avait été « provisoirement suspendue » au Togo et « pourrait reprendre lorsqu’une réforme du système, qui est en cours, sera finalisée ». Ils expliquaient que « cette réforme pourrait inclure l’octroi d’autorisations d’ouverture de comptoirs et la révision du niveau des taxes à l’exportation de l’or. L’un des enjeux de cette réforme serait de lutter contre le terrorisme, alors que le nord du pays est de plus en plus menacé par la présence de djihadistes qui utiliseraient le trafic d’or comme source de financement » (L’Evénement Niger 2021).

SWISSAID a pris contact avec plusieurs fonctionnaires de la DGMG et du MME togolais pour mieux comprendre l’évolution des exportations d’or depuis le Togo. Elle a reçu des réponses de la DDCM, qui a expliqué qu’officiellement, l’interruption avait duré de 2018 à 2023 : « la dernière expédition [d’or par les sociétés Wafex et Soltrans] a été faite le 15 août 2018. Depuis ce temps il n’y a pas eu d’expédition jusqu’en 2023 où on a recommencé avec la société détentrice d’un permis d’exploitation qui exporte de l’or sorti de sa mine »9. En d’autres termes, selon la DDCM, aucune exportation d’or depuis le Togo n’aurait eu lieu entre 2019 et 2022.

Cela contraste fortement avec les chiffres sur les importations d’or en provenance du Togo rapportés à UN Comtrade par les autorités des autres pays. En effet, si ces chiffres sont restés comparativement faibles en 2019 (1'214 kg) et en 2020 (994 kg), ils ont en revanche très vite repris l’ascenseur en 2021 (11'662 kg) et à nouveau en 2022 (20'622 kg), renouant même avec les hauts niveaux du milieu des années 2010. Cela indique que, selon toute vraisemblance, les exportations d’or du Togo ont repris, mais qu’elles sont désormais non déclarées, voire non enregistrées ou non reconnues officiellement par les autorités togolaises.

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L’écart entre les valeurs rapportées par l’Etat togolais à UN Comtrade à titre d’exportation d’or et celles rapportées par les autres Etats est particulièrement frappant ; les premières atteignent seulement 0-16% des secondes, selon l’année. Ceci est dû au fait que les autres Etats déclarent une valeur de l’or qui correspond au prix du marché international, tandis que les autorités togolaises attribuent à l’or une valeur qui est bien trop basse pour être plausible. L’auteur d’une étude réalisée pour le compte de l’OCDE précise que « les statistiques togolaises estiment la valeur de l’or exporté à 1 700 dollars le kilo (ce qui justifie l’imposition d’une taxe à l’export d’environ 50 dollars le kilo, équivalent au 3 % sur 1 700 dollars) » (OCDE 2018: 19). Interrogée par SWISSAID au sujet de ces écarts de valeur, la DDCM a fourni une autre explication : « Les écarts constatés sur les valeurs s’expliquent par le fait que les données déclarées par le Togo ne sont pas les valeurs de l’or expédié mais plutôt les taxes douanières perçues à l’exportation de l’or. Ces taxes s’élèvent à 45.000 FCFA/kg d’or exporté »10. Cette réponse est surprenante, car la notion de valeur commerciale est clairement définie dans UN Comtrade.

D’autres pays d’Afrique de l’Ouest sous-estiment également la valeur de l’or qu’ils exportent, mais le cas du Togo est extrême (celui du Bénin aussi, cf. profil pays correspondant).

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Dans les années 2010, les principaux pays de destination de l’or exporté depuis le Togo étaient la Suisse, les EAU et le Liban. Entre 2013 et 2018, les EAU ont clairement remplacé la Suisse comme principal pays de destination. Sur cette même période, la part du Liban (en pourcentage) est restée relativement stable.

Jusqu’au début des années 2020, les différences entre les quantités déclarées par l’Etat togolais et celles déclarées par les autres Etats n’étaient pas particulièrement marquées (sauf pour 2013, cf. ci-dessous). Cela a clairement changé en 2021 et en 2022, car l’Etat togolais n’a rapporté aucune exportation pour ces années, alors que l’Etat émirati a, de son côté, rapporté des importations d’or en provenance du Togo de, respectivement, plus de 10 et plus de 20 tonnes.

L’or exporté depuis le Togo entre 2018 et 2021 n’était vraisemblablement pas directement destiné à des raffineries membres de la London Bullion Market Association (LBMA). En effet, selon les données sur les pays d'origine publiées chaque année par l’association londonienne (LBMA Country of Origin Data)11, ces raffineries n’ont importé que de faible quantités d’or « recyclé » ou « non traité » en provenance du Togo entre 2018 et 2022. Ceci n’exclut cependant pas le risque que, durant ces années, des raffineries LBMA aient traité de l’or de contrebande ayant transité par le Togo, puis par d’autres pays, notamment les EAU.

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La courbe de l’or exporté du Togo vers les EAU selon les déclarations faites à UN Comtrade par l’Etat togolais et celle selon les déclarations faites par l’Etat émirati se ressemblent fortement jusqu’en 2018. La différence (au max. 1,77 tonne en 2016) pourrait s’expliquer par des exportations non déclarées à la sortie du Togo, mais déclarées à l’entrée aux EAU. Cela pourrait prendre la forme d’une sous-déclaration de la quantité pour certains chargements. A partir de 2019, on observe des écarts énormes, dus au fait que l’Etat togolais ne rapporte pour ainsi dire plus aucune exportation d’or depuis le Togo.

Interrogée par SWISSAID au sujet de l’écart entre les statistiques togolaises et les statistiques émiraties relatif à l’année 2021, la DDCM a déclaré : « nous n’avons pas fait d’expédition officielle, donc nous ne connaissons pas la provenance des chiffres des Emirats »12.

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La courbe de l’or exporté du Togo vers la Suisse selon les déclarations faites à UN Comtrade par l’Etat togolais et celle selon les déclarations faites par l’Etat suisse se ressemblent. Concernant l’année 2013, la différence pourrait s’expliquer par des exportations non déclarées à la sortie du Togo. Officiellement, le commerce de l’or entre le Togo et la Suisse a pris fin en 2016.

Jusqu’au milieu des années 2010, la Suisse importait plusieurs tonnes d’or par année du Togo. Comme l’a démontré le rapport de Public Eye sur le trafic de l’or du Burkina Faso vers le Togo et le Bénin, le Groupe Ammar a longtemps envoyé de l’or depuis ces deux pays à l’entreprise suisse Valcambi, qui s’occupait de le raffiner et de le mettre sur le marché (Public Eye 2015). Il est donc hautement vraisemblable que la Suisse a contribué pendant plusieurs années au blanchiment de quantités considérables d’or acheminé clandestinement hors du Burkina Faso.

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Entre 2012 et 2019, le Liban a importé des quantités considérables d’or en provenance du Togo. Cela est certainement lié au fait que les deux seules sociétés disposant à l’époque d’une autorisation de l’Etat togolais pour l’exportation d’or (et de diamant), Wafex et Soltrans, appartenaient à des entrepreneurs libanais. La courbe de l’or exporté du Togo vers le Liban selon les déclarations faites à UN Comtrade par l’Etat togolais et celle selon les déclarations faites par l’Etat libanais sont presque identiques pour ces années.

Exportations d’or en contrebande

Il semble que la quasi-totalité des exportations d’or réalisées jusqu’aux alentours de 2018 aient été déclarées, bien qu’un phénomène de sous-déclaration très important, décrit ci-dessus, ait été à l’œuvre. Quant aux exportations d’or réalisées par la suite, à savoir à partir de 2019, elles relèvent très vraisemblablement de la contrebande. En ce qui concerne les années 2021 et 2022, en particulier, les chiffres sur les importations d’or en provenance du Togo rapportés à UN Comtrade par les autorités des Emirats arabes unis sont en décalage total avec les chiffres sur les exportations d’or du Togo rapporté par les autorités de ce pays. Cela suffit à justifier une forte suspicion. Les autorités togolaises devraient chercher à expliquer l’origine de ces écarts en collaborant avec les autorités des Emirats arabes unis afin d’identifier les sociétés à l’origine de ces exportations en contrebande.


  1. SWISSAID n’est pas parvenue à se procurer ce rapport PDGM datant de 2017.
  2. Réponse de Nestor Kossi Adjehoun à SWISSAID, 9 août 2023.
  3. Réponse de Nestor Kossi Adjehoun à SWISSAID, 18 août 2023.
  4. Cette affirmation doit être nuancée en ce qui concerne les années 2020-2022. En effet, les autorités togolaises ont rapporté des importations d’or de 113 kg et 192 kg en, respectivement, 2020 et 2021 mais la valeur commerciale totale indiquée pour 2020, à savoir 37'797 USD, est sans commune mesure avec le poids indiqué. Elle donnerait un prix de l’or au kilogramme bien trop faible et donc, irréaliste. Il en va presque de même de celle pour 2021, même si, dans ce cas, le rapport n’est pas aussi éloigné de la réalité. Enfin, en 2022, les autorités togolaises ont rapporté des importations d’or – notamment en provenance du Ghana et du Mali – à raison de 4,5 millions USD, mais aucun poids correspondant. En conclusion, ces chiffres officiels togolais sont peu fiables et, comme ils sont aussi relativement bas, SWISSAID a préféré en faire abstraction.
  5. A l’époque où cette étude a été publiée, le prix de l’or oscillait autour de 34'000 USD/kg.
  6. On trouve également des informations sur les exportations d’or dans des documents publiés directement par l’Etat togolais. Les chiffres publiés dans le Bulletin statistique du commerce international des marchandises - 1er trimestre (2020: 25-6, 2019: 25-6, 2018: 25-6, 2017: 24-5, 2016: 23-5) correspondent en grande partie aux déclarations faites par l’Etat togolais à UN Comtrade. En revanche, ceux publiés dans le Rapport 2017 de la surveillance commerciale au Togo (Ministère du commerce et de la promotion du secteur privé 2017) sont inférieurs de moitié environ aux données UN Comtrade (valeur de l’or exporté).
  7. Réponse de Nestor Kossi Adjehoun à SWISSAID, 9 août 2023.
  8. Réponse de Nestor Kossi Adjehoun à SWISSAID, 18 août 2023.
  9. La DDCM fait ici référence à une société exploitant une mine au Togo.
  10. Réponse de Nestor Kossi Adjehoun, 18 août 2023.
  11. Les données sur les pays d'origine publiées chaque année par la London Bullion Market Association (LBMA) sont une source essentielle d’informations sur la destination de l’or provenant de chaque pays, y compris des pays africains. Elles proviennent des rapports que tous les raffineurs certifiés conformément à la norme de la LBMA doivent établir. Toutefois, la LBMA ne fournit ensuite ces données que sous forme agrégée (par pays, lorsque quatre raffineries ou plus sont basées dans le même pays, sinon par région), afin d'éviter de divulguer des informations sur chaque raffinerie individuelle. Par le passé, ces données n'apparaissaient que dans les rapports sur le développement durable et l'approvisionnement responsable de la LBMA (Sustainability and Responsible Sourcing Reports : voir LBMA 2020: 37concernant 2018, LBMA 2021: 47 concernant 2019, LBMA 2022: 28 concernant 2020 et LBMA 2023: 32 concernant 2021). Le premier rapport dans cette série a été publié en 2020 et concerne l’année 2018 ; on ne dispose donc d’aucune donnée pour les années précédentes. Depuis 2024, ces données sont accessibles sur une page web dédiée : LBMA Country of Origin Data.
  12. Réponse de Nestor Kossi Adjehoun à SWISSAID, 9 août 2023.